Quand je jase de tatouage avec les gens, un sujet qui revient très fréquemment, c'est l'originalité. On a souvent l'idée que c'est hyper important de ne pas se fondre dans la masse, de ne pas être un "mouton", et qu'il faut être à l'avant-garde comme si le sort de notre statut social en dépendait. Pour certains, tant qu'à avoir un tatouage, autant avoir quelque chose d'original, sinon ça ne sert à rien de se faire tatouer. Sauf que pour plusieurs, le but de se faire tatouer n'est pas vraiment d'être original, donc le fait de se compliquer la vie juste pour être différent ne fait absolument aucun sens.
Personnellement, j'pense qu'on s'en fait juste trop avec ça. J'pense qu'on essaie trop souvent d'être différents sans vraiment savoir pourquoi, et surtout que nos tentatives pour se démarquer ne marchent habituellement pas pentoute, parce qu'on se fait quand-même sacrer dans le même panier qu'un paquet d'autres personnes de toute façon. Une coupe de cheveux différente? Tu veux juste de l'attention. Un style vestimentaire différent? Même affaire, t'es un hypster. Et si tu résiste au terme, on va juste utiliser un autre mot comme métro-sexuel, norm-core ou encore lumber-sexuel (wtf), et on va quand-même trouver une façon de t'associer à une mode quelquonque.
Je sonne pessimiste un peu, mais détrompez-vous, je ne pense pas qu'être relativement original est impossible. Juste que dans bien des cas, se concentrer sur le fait d'éviter les plus gros clichés est une option beaucoup plus réaliste que d'essayer d'épater la gallerie avec quelque chose d'incroyablement unique.
Le gros bon sens
J'espère vraiment n'apprendre rien à personne en disant ça, but here we go: Si on peut trouver une trâlée de personnes avec le même tattoo sur internet, il est pas original.
Sérieusement, c'est grave. Une bonne partie de mes clients m'arrivent avec des screenshots de leur cellulaire sur google en pensant avoir trouvé quelque chose de vraiment unique. Est-ce que j'suis le seul à voir une bonne dose d'ironie dans cette logique-là? Parce que logiquement, si t'as trouvé ton idée sur internet, c'est parce qu'il y a au moins un shit-ton métrique de personnes qui ont eu exactement la même!
Bref, le simple fait de trouver une idée par nous-même, c'est déjà un pas de géant vers l'originalité. De plus, un bon truc pour déterminer si au niveau symbolique, une idée est clichée ou non, c'est de se poser la question: "est-ce que ça me représente personellement, ou est-ce que ça englobe absolument tout le monde?"
Prennons par exemple la plume, symbole de liberté (et de whatever ce que les gens peuvent lui attribuer). Désolé de péter votre bulle, mais la liberté, y'a pas un fucking chat qui est contre. J'ignore pour vous, mais personellement je ne connais pas non plus de gens qui ne veulent pas suivre leurs rêves, ni de personnes qui pensent que d'avoir des convictions c'est mal.
Un paradoxe
Le problème avec la recherche consciente d'originalité, c'est qu'elle peut d'elle-même créer un nouveau cliché. Un truc que j'ai remarqué durant mes cours en arts visuels, c'est qu'ironiquement, quand on essaie de se démarquer de la masse pour faire quelque chose de vraiment unique, on finit quand-même par faire la même maudite affaire que tous les autres, parce ça addonne tout bonnement que leur petite idée de ce qui est original est exactement la même que la nôtre. Et le plus drôle là dedans, c'est que quand les gens se rendent compte qu'ils sont tous pareils, ils vont encore tenter de sortir du cercle... de la même façon que les autres. Et quand on étire le processus sur une couple de générations, ça donne ça:
Plus ça change, plus c'est pareil. Et quand on compare les différents mouvements artistiques à travers les âges, on se rend compte que même les artistes les plus originaux, ceux qui ont carrément créé des nouveaux genres, n'ont quand-même jamais vraiment réinventé la roue. Ils ont simplement pris quelque chose qui existait déjà, et y ont ajouté quelques petites modifications.
Par exemple, Picasso a pris le post-impressionisme et a mis plus d'emphase sur les formes géométriques pour créer le cubisme. Richard Hamilton et Andy Warhol ont mélangés le surréalisme et le dadaisme avec des éléments de la culture populaire pour créer le pop-art. En gros, tout mouvement artistique est soit une évolution, soit une réponse au mouvement qui le précède. Même le plus innovateurs de notre histoire n'ont en fait rien inventé.
Alors si on veut être original, comment on fait?
C'est simple: on arrête d'y penser, et on fait ce qu'on aime. On cherche quelque chose qui représente ce qu'on veut de façon spécifique, et on se contente d'être le plus authentique possible. Ça ou on essaie de faire différent pour faire différent et on se retrouve avec un tatouage ridicule qu'on aime jusqu'au jour fatidique où on arrête d'être prétentieux.
Important, mais pas tant que ça.
Au final, l'originalité, c'est bien, mais pas assez pour justifier de se faire tatouer du gros n'importe quoi, et pas assez pour s'empêcher d'avoir simplement quelque chose qu'on aime. L'important, c'est surtout d'être honnête avec sois-même et d'être conscient des raisons derrière son tatouage. Parce que le problème principal avec les tatouages clichés, c'est pas qu'ils sont clichés: c'est que presque tous ceux qui en ont pensent qu'ils sont originaux. Le nombre de personnes qui m'ont montrés une photo d'un tatouage et m'ont demandés de leur reproduire tel quel pour ensuite me dire à quel point l'idée est originale is too damn high.
Et selon moi, un tatouage commun, mais classique et intemporel, possède autant de valeur qu'un tatouage original. C'est pas pour rien que ça fait soixante ans qu'on voit des roses, des symboles marins et des animaux sur la peau d'amateurs de tatouages américains. Et c'est pas pour rien que les tatouages traditionnels japonais, c'est quasiment toute la même maudite affaire depuis des années. Ça marche, c'est beau, et ça passe pas de mode.
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